Tout comme un homme, le stylo monte, descend, s’arrête, se couche. Il parcourt la feuille comme on parcourt la vie. Il hésite, reprend son souffle et repart. Il traverse les lignes comme des années, les mots comme des jours. Les unes comme les autres, sont franchis au bout de mille peines et de mille joies. Autant de stylos que de vies, autant de vies que de feuilles. « Les feuilles mortes se ramassent à la pelle….. »Le stylo avance, peu importe vers où. «Laissez parler les p’tits papiers, à l’occasion papier chiffon, puissent ils un soir, papier buvard, vous consoler». Parfois il se retourne sur une portion de trajet, l’observe, l’évalue. Selon les cas, il s’en réjouit  ou la déplore. Alors il barre un mot, déplace une virgule ou supprime une ligne. Le stylo glisse avec aisance sur le chemin des jours quand un bon vent gonfle la voile, ou s’écorche sur les mots acérés d’une phrase ardue. Qui nous dira l’âme du stylo au seuil d’une page vierge ?Il sera peut-être d’humeur légère, guilleret, résolu, la fleur au fusil jusqu’au point final. Il lèvera la tête au ciel, abattu, épuisé à la seule pensée des montagnes à franchir. Ou alors, il posera un pied, lentement, la peur au ventre, la sueur au front, comme on traverse un champ de mine ; ensuite l’autre pied, étonné d’être encore debout, mais déjà effrayé par le prochain pas. Que nous dira le stylo au seuil d’une page blanche ? Que la mère est heureuse « apprenant que son fils est guéri » ; que l’âne a mal, « qui reçoit des coups de pied au ventre ». Il suera toute son encre à nous raconter la joie de l’une et la peine de l’autre. Le stylo s’habille de tous les visages. Il est toi, il est nous, il est je.  C’est le ravissant minois de l’élève appliqué. C’est la frimousse rieuse de ce gamin espiègle. C’est la face soucieuse de l’homme que l’on juge et la figure ravinée du vieillard résigné. Tour à tour, et souvent tout à la fois,  le stylo est docile, rebelle, fidèle, implacable. Il se soumet à vos pensées et les parsème en phrases fluides et claires. Mais il peut aussi vous bâillonner et encager le cri qui vous étouffe. Il dessinera l’aube apaisée de vos longues soirées d’hiver.

Kourde Yacine. 17 juin 2011.