L'étourdi

On ne compte plus les étourderies de Amrane. On va juste déguster la dernière en date. Hier, sitôt la paie mensuelle en poche, il s’en est allé faire des achats dans ce beau magasin qu’on appelle Monoprix et qui vient d’ouvrir ses portes. Au bout de quelques va-et-vient entre les étagères et la caisse, trois ou quatre sachets en plastiques sont remplis d’achats et payés environs huit cent dinars. Notre ami charge ses emplettes dans la malle de sa voiture, monte dans sa voiture, conduit jusqu’à la maison, descend de la voiture, décharge ses emplettes et transporte les sachets jusqu’à sa maison située au premier étage. Il remet les provisions à ses enfants et ressort se promener. La nuit tombée, retour à la maison. Au menu du dîner, purée de pomme de terre et merguez, qu’il mange avec un bel appétit. Le lendemain, au déjeuner : couscous au poulet. « Combien avez-vous payé ce poulet ? » demande Amrane à ses enfants. L’une de ses fille s’étonne : « Mais Papa, nous n’en savons rien, c’est toi qui l’a acheté ». Se sachant distrait et oublieux, il réfléchit un instant, mais ne se rappelle pas avoir acheté un poulet. Il en est certain. Mais alors, comment donc le volatile est-il arrivé à la maison ? Toute la famille se concentre, cherche, délibère et conclue qu’il n’y a pas d’explication. De question en hypothèse, de théorie en concertation, le débat débouche sur des craintes : Et si le poulet était empoisonné ? Et s’il était l’œuvre de quelques jaloux usant de sorcellerie ? Amrane est troublé. Il passe en revue tous ses faits et gestes de la journée. Les achats, les étagères, la caisse, les sachets défilent dans sa tête. Les sachets. Mais combien de sachets ? Il ne se rappelle pas très bien. Aurait-il pris, sans faire attention, le sachet d’un autre client ? Un client qui aurait acheté un poulet dans un autre magasin, puisque le monoprix ne vend pas de poulet. Il faut en avoir le cœur net. Il se précipite dans sa voiture et se rend immédiatement au magasin. « Non, je ne me souviens pas qu’un client ait réclamé quelque chose hier » répond le caissier. Amrane pressent que son trouble glisse vers l’inquiétude. Le poulet est peut-être le fruit d’une intention malveillante. Mais ce qui l’inquiète davantage, c’est de ne plus se rappeler avoir acheté un poulet et d’oublier une chose aussi importante. Avant que notre malheureux ne sombre dans l’angoisse, un garçon du magasin s’est souvenu d’un incident survenu la veille : Un homme, environs la cinquantaine, circulait dans les allées en recherchant un poulet par lui égaré.

Kourde Yacine.


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