Si vous allez à Alger, chaque fois que vous allez à Alger, ne manquez pas de rendre visite à la librairie « Mille-feuille » en face de la mosquée Errahma à la rue Khelifa Boukhalfa. L’enseigne, bien que discrète attirera déjà votre attention par sa subtile ambiguïté. Va –t-on se remplir la tête ou l’estomac ?La porte franchie, on est étonné de l’exiguïté de l’endroit, réparti sur deux petits niveaux. Vous vous rendrez rapidement compte de la richesse et de la diversité des titres qui occupent rationnellement les deux petits espaces de la boutique. Vous vous plairez à regarder la littérature siéger aux côtés de l’histoire, le roman trôner près de la poésie. Quelles que soient vos lectures vous trouverez votre bonheur. Trois ou quatre marches vous mèneront au deuxième niveau. Vous y serez accueilli par les regards et les sourires de personnages illustres d’ici et d’ailleurs : En face, bien en évidence, les photos de Mouloud Feraoun, Kateb Yacine, Mohamed Dib et d’autres encore. A droite, une photo de l’Abbé Pierre, magnifique de générosité et d’humanisme. Et sur les murs, sur presque tous les murs, des phrases, des mots : Des lapsus, des perles, un trésor de délicieuses confusions, de bourdes succulentes. Au fil du temps, les maîtres du lieu ont patiemment recueilli ces joyaux et les ont consigné, à la main, sur les murs de leur boutique. C’est avec gentillesse qu’ils vous feront partager les joies de ce recueil géant. Vous rirez beaucoup grâce à ces proverbes, ces phrases célèbres ou ces expressions, dont une malencontreuse coquille, commise de bonne fois, a changé complètement le sens. Les yeux brillants, vous vous surprendrez à rechercher et à reconstituer la formule originelle. Le rire et la réflexion fusionneront dans une alchimie particulière. Et vous replongerez dans les livres. N’hésitez pas à engager la discussion avec le libraire. Ce libraire-là a lu beaucoup des ouvrages qu’il expose. C’est en fin connaisseur qu’il vous parlera de Anna Gavalda, de Amin malouf, de Cheikh Abderrahmane El Mejdoub ou d’autres romanciers, d’autres poètes. Si vous avez un peu de chance, vous assisterez à une séance de dédicace. Il arrive aussi que des poètes déclament leurs œuvres. Vous-même, si le cœur vous en dit, pourrez lire ces vers, que les rayons déclinent au masculin, au féminin, au collectif, au classique ou au moderne. Aimerez-vous avoir des nouvelles de votre écrivain préféré, d’un homme de lettre ou d’un artiste ? Il se trouvera peut-être quelqu’un pour vous parler de Yasmina Khadra dans son centre culturel, ou de Halim Zenati, ce photographe génial, parti au Brésil, trimbaler sa sensibilité à fleur d’objectif. Alors les textes prendront pour vous un autre aspect. Un peu comme on mange un fruit cueilli sur un arbre. Vous retrouverez l’envie de lire, la joie de lire et vous penserez comme Penac que « le temps de lire, comme le temps d’aimer dilate le temps de vivre ».

Kourde Yacine. 18 décembre 2008.

post-script : Entre temps, Yasmina Khadra n’est plus plus au centre culturel, Halim Zenati n’est plus au Brésil et la librairie Mille-feuille est devenue une pizzeria, comme beaucoup d’autres librairies.


--------------------------------------------------------------------------------------
Accueil du site Les livres lus Auteurs Articles Mes tweets Contact